C’est un buriniste belge, Jean Coulon, que reçoit et expose Suzanne Paliard dans sa maison de Saint-Cyr. Autant dire qu’aujourd’hui, même s’il n’est pas le seul à pratiquer cet art, il appartient à une espèce rare, longtemps en voie de disparition. Le burin en effet a été, jusqu’ au mitan du XIXème siècle, la discipline reine de la gravure, la discipline noble.
Rappelons que la gravure au burin est un procédé propre, « direct » dit l’artiste, qui consiste à graver, sans autre forme de procès, à l’aide d’une pointe sur une plaque de cuivre : le burin doit être tenu fermement, exige de la force manuelle (il faut entailler le métal), et ce n’est pas le burin qui « dessine » comme le ferait un crayon, mais la plaque de cuivre même, que la main déplace sur une structure mobile. Le nom même de l’outil est tout un programme – on pense aux visages que le temps et le soleil burinent, mais aussi au mineur, au maçon, au sculpteur qui l’utilisent ; et pour tout dire « buriner », c’est d’abord familièrement « bûcher ». Une fois la gravure terminée, la planche passe sous la presse.
Il y a chez les burinistes une forme de sainteté : le temps exigé, la force et la concentration déployée, la régularité patiente des traits (pas de gribouillis rapide comme avec la pointe sur le vernis du cuivre à l’eau-forte ni de ratrappage possibles), l’immersion profonde dans un labeur opiniâtre qui peut prendre plusieurs semaines, ne laissent pas d’évoquer le moine copiste du XIème siècle, mutique dans le scriptorium, éprouvant dans son immobilité même les rigueurs du temps, et avançant lettre par lettre sur le rèche parchemin, l’achèvement de sa copie.
Mais Jean Coulon, me dira-t-on ? Eh bien, même s’il a les qualités sus-dites, il n’est pas un moine retiré du monde. Ses gravures parlent de la ville, de ses foules invisibles, de sa profusion, de sa folie, de sa complexité, de son absurdité, mais avec un sens de l’humour, visible si l’on prend le temps de s’arrêter sur les détails, qui en allège considérablement le poids… En même temps se déploie, sur le réel urbain, un imaginaire original aux effets incongrus, drôles parfois : galions du temps passé en radoub plantés sur leur étais et posés sur la ville horizontale comme la mer, instruments de musique, saxophone surtout, aux excroissances végétales, ou machines improbables aussi poétiques que celles de Tinguely prêtes à décoller. Je veux croire qu’ici la magie de l’imaginaire ouvre des mondes heureux. Sans compter que les plus réussies des estampes présentent cet aspect argenté qui transfigure le dessin et le papier, signe d’un métier et d’un art véritables, pour le plus grand bonheur du spectateur.
PB
A l’Estanco du Mont Cindre, vendredi 16, samedi 17 dimanche 18 septembre 2016, de 15 à 19 heures et sur rendez-vous.
L’ESTANCO, chez Rémy et Suzanne Paliard, 1 chemin de l’Ermitage, 69 450 Saint Cyr au Mont d’Or.